Du Changement à Abalessa
contexte général
“Ils disaient que l'Homme avait réussi à contrôler sa planète, malgré les quelques soubresauts occasionnels. Ils disaient que la Terre avait été apprivoisée, que nous en étions les seuls maîtres.
Et pendant des siècles ça a été le cas.”
― Sarah Lee, Première Antinea
Planète Terre, Système Solaire, Voie Lactée. Un grain de sable par rapport à l'infinité de l'univers. Juste un bout de terre pour la plupart ses habitants, un lopin à cultiver, un terrain à construire, des ressources à extraire jusqu'à leur extinction. Et jusqu'en 2026, l'apogée de l'espèce humaine, ça a été le cas. Technologiquement avancée, l'Humanité avait réussi à faire cesser les guerres qui ravageaient sa planète et les crises alimentaires étaient en cours de résolution, même si certains états continuaient de s'enrichir sur le dos des plus pauvres. Quelques tremblements de terre, pas assez forts pour ébranler les bases des sociétés, une ou deux éruptions, rien qui n'inquiétait vraiment l'Homme, sûr d'avoir déjà connu pire. Mais ils se trompaient tous, lourdement.
En 2026, plusieurs séismes de magnitude importante se firent sentir à travers le globe. Juste les premiers signes avant-coureurs de ce que nous appelons maintenant le Changement. Puis les volcans crachèrent leur feu et réveillèrent leurs frères encore endormis. Aucun continent ne fut épargné, et toutes les populations furent touchées. On organisa en urgence le rapatriement des populations encore vivantes vers des zones sûres, comme la Sibérie, le Brésil, la Mauritanie, l'Europe centrale, le nord de l'Amérique et l'Inde.
“Certains appellent ça la Colère de Gaïa, d'autres préfèrent parler d'hypothèse Médée. Peu importe le nom, la Terre a décidé de reprendre le pouvoir et l'humanité en a payé le prix.”
― Sarah Lee, Première Antinea
Beaucoup périrent lors du Changement, environ la moitié de la population mondiale, et ce n'était qu'une estimation approximative. Mais la Terre n'en avait pas encore fini avec nous. Après le feu, ce fut l'eau et les tsunamis. La plupart des côtes furent submergées et les camps de réfugiés s'y trouvant, noyés. Le niveau de l'eau monta et d'autres séismes se firent sentir, ravageant ce qui restait des traces de nos civilisations, jusqu'à ce qu'il ne reste plus que des cendres de ce qui avait été des villes entières. L’Europe succomba sous les explosions de ses réacteurs, certains réfugiés réussirent à rejoindre d'autres camps. C'est à ce moment-là que l'électricité disparut et que les communications cessèrent entre les divers camps.
Puis le ciel se voila, privant la végétation de la lumière et la chaleur nécessaire. Les récoltes diminuèrent et la famine se fit sentir, autant que la maladie qui se propageait à travers les camps. Nous avons tenu bon, en mettant en application tout ce que nous avions appris de nos ancêtres, mais la vie devint plus dure, plus abrupte. Nous n'avions plus de médicaments, plus de vaccins, et la mortalité ne cessait d'augmenter. Après trois longues années à essayer de tirer le meilleur de cette situation presque impossible, le camp de Mauritanie où nous étions a été submergé une nouvelle fois. Plus de la moitié, hommes, femmes et enfants, mourut ce jour-là ou peu après, de leurs blessures ou des maladies qui se développaient plus rapidement. Le reste, avec à sa tête une ébauche de Conseil, choisit de s'enfoncer plus loin dans les terres, là où l'eau ne pourrait plus les atteindre. En 2028, le Premier Exode commença, et Sarah Lee fut choisie comme leader pour nous mener à l'Est, en direction du Sahara.
“Nous avons tout perdu du jour au lendemain, sans espoir de retrouver ce qui était "chez nous". Mais nous avons gagné d'autres choses en échange, dont un respect un peu plus réel pour notre terre.”
― Cheyenne Alcaser, Seconde Antinea
Le désert n'était plus qu'une étendue de sable stérile. Avec la montée des eaux, lacs et rivières abreuvaient à nouveau la terre et les animaux, et nous découvrîmes la chasse comme nos ancêtres l'avaient fait des millénaires auparavant. La végétation s'adaptait lentement au peu de lumière qu'elle recevait et nous ne pouvions plus compter que sur nos connaissances, que les Archivistes consignaient pour que tout ce savoir ne soit pas perdu, avant de le transmettre à nouveau aux plus jeunes. D'oasis en oasis, nous avons appris à survivre en continuant d'avancer, chassant uniquement ce qui nous permettait de nous nourrir, cultivant parfois quelques plantes quand la terre le permettait.
Un an après notre départ de la côte, nous avons trouvé une oasis au nord de ce qui avait été Tombouctou permettant au camp de s'installer plus durablement. Cette même année notre leader mourut à l'âge vénérable de soixante ans, la fatigue et la vieillesse l'emportant une nuit. On nomma alors un nouveau leader, encore une femme, issue d'une autre partie du camp d'origine, Cheyenne Alcaser. Sous sa direction, l'oasis prospéra et nous réussîmes à construire une ébauche de ville au bord du Niger. Mais Gaïa n'avait pas encore dit son dernier mot et après six ans de calme prospère, de nouvelles inondations détruisirent la plupart des bâtiments, emportés par des coulées de boue qui ravagèrent aussi notre peuple. Après avoir récupéré tout ce qu'il était possible de récupérer, le Second Exode commença, en direction cette fois du Nord et les massifs montagneux de ce qui avait été l'Algérie.
“Un pas après l'autre, d'une dune à la suivante, sans regarder nos empreintes dans le sable. Nous savons qu'il n'y a plus rien en arrière, alors nous fixons nos yeux sur les colonnes devant nous pour continuer à avancer.”
― Cheyenne Alcaser, Seconde Antinea
L'hiver volcanique qui sévissait depuis dix ans prit fin deux ans après le début du Second Exode, et nous avons pu reprendre les cultures de certaines plantes sur notre chemin à travers le désert. Les cimes du Hoggar se dessinaient à l'horizon et nous avons rejoint la ville touareg de Tamanrasset au pied du massif au bout de six nouvelles années d'errance. La seconde Antinea mourut sur le chemin, d'une maladie que nous n'avions plus les moyens de guérir, et une nouvelle fut choisie parmi les six grandes familles restantes. Après plusieurs mois à errer dans le Hoggar à la recherche d'un terrain pouvant accueillir notre peuple, les Touaregs nous indiquèrent les ruines d'Abalessa, au bord de l'Oued Amded qui était maintenant une rivière.
En 2042, plus des trois-quart des réfugiés venant originellement du camp de Mauritanie s'établirent là, reconstruisant peu à peu la ville. Les Touaregs fournirent une partie des matières premières et un nom pour notre leader. De la légendaire Tin Hinan qui engendra leur peuple, nous adoptèrent le nom d'Antinea pour celle qui nous gouvernait avec le Conseil. La renaissance d'Abalessa se fit sous la tutelle d'Abida Khalouani, troisième Antinea, et elle établit de nouvelles règles pour cette nouvelle société née des décombres de la précédente.
“Je suis l'Antinea, la troisième. Comme mes sœurs aînées j'ai connu l'Ancien Monde et le Nouveau. Comme mes ancêtres je chéris notre Terre et reconnais sa toute puissance. Comme mes descendants je m'appliquerai à respecter notre Mère et sa colère. Puisse Gaïa m'accorder la paix durant mon règne.”
― Adiba Khalouani, Troisième Antinea
Des remparts furent montés autour du centre de notre cité pour nous protéger des tribus nomades toujours présentes dans les environs, puis des champs et des pâturages pour nourrir la population. Des réfugiés arrivaient régulièrement, suivant les rumeurs d'une nouvelle ville au cœur du désert, et il fallut freiner ces vagues d'immigrations pour garder un certain ordre. Un nouveau camp fut créé sur la rive Sud de l'oued, avec des champs qu'ils pouvaient cultiver, et quatre fois par an ceux qui en font la demande peuvent intégrer la population d'Abalessa.
Trois années prospères qui virent de nombreuses modifications dans notre mode de vie jusqu'alors nomade, et avec elles de nouvelles dissensions. Deux groupes politiques virent le jour, les Fils de Gaïa et les Fordistes. Si les premiers prônent un respect de la terre et un usage modéré de ses ressources pour la survie de tous, les seconds veulent rétablir la société comme elle était avant le Changement. Le Conseil aussi est divisé entre ses deux opinions, et des rumeurs courent sur la mort de la troisième Antinea, retrouvée morte dans le désert rocheux à l'Ouest d'Abalessa. Assassinat ou simple accident? Une nouvelle Antinea doit être choisie dans les mois qui viennent et ses choix pourraient faire pencher la balance entre les Fils de Gaïa et les Fordistes.